Romans

 

Dust

Dans le Montana, entre la rudesse de l’hiver et la sécheresse impitoyable de l’été, Dustin demande l’hospitalité à son frère, qui tient un ranch. Si le nouveau venu montre un don exceptionnel pour apprivoiser les chevaux, sa brutalité et son manque de communication rendent parfois la cohabitation difficile. Il s’agira alors également d’apprivoiser les plaies encore ouvertes qui ont marqué sa vie...

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Extrait:

L’aube était un moment que Karim chérissait particulièrement; il en appréciait la quiétude feutrée, le silence qui précédait l’agitation d’une nouvelle journée. Tout était encore endormi, comme si la terre rassemblait ses forces avant de s’ébrouer sous la caresse du soleil. Il aimait par-dessus tout les couleurs et les lumières uniques de l’aurore, et spécialement le flamboiement sanglant qui jaillissait de derrière la colossale barrière des Rocheuses toutes proches. Dans de tels instants de contemplation, il avait véritablement la sensation de faire partie du grand agencement naturel.
C’était peut-être très égoïste de sa part, mais il appréciait sa solitude du matin et Moira avait vite compris qu’il préférait goûter au réveil du monde sans elle. Elle se levait par conséquent plus tard. Cela ne la dérangeait pas, surtout l’été, quand le jour était impatient de chasser la nuit pour régner en vainqueur.
Karim but son café debout dans la cuisine. En réalité, il n’était pas tout à fait seul. Pas moins de cinq chats se frottaient contre ses jambes en ronronnant, pleins d’espoir à l’idée qu’il remplisse leurs gamelles vides. Il accéda de bonne grâce à leur sollicitation autant bruyante qu’envahissante. Contrairement aux chiens, les petits délinquants qui déchiraient les rideaux et saccageaient les canapés bénéficiaient d’un accès sans restrictions à toutes les pièces du ranch. Si les chiens étaient les gardiens de la maison, les chats en étaient les rois. Ils occupaient les meilleures places. Fauteuils et lits étaient leurs lieux de détente favoris et il y en avait toujours un quelque part qui squattait sans vergogne le siège adoré de l’un des membres de la famille.
Lorsque les croquettes tintèrent au fond des nombreux bols alignés devant une cloison, trois autres félins sortis de nulle part apparurent en trottinant. Il en manquait deux, nota Karim; leur absence ne le surprenait pas. Il s’agissait des plus féroces chasseurs de souris qu’il lui ait été donné de connaître. Ils ne daignaient s’intéresser à la nourriture industrielle que lorsque la neige et le froid les empêchaient de se consacrer à leur activité de prédilection. A moitié sauvages, ils ne toléraient que modérément la présence humaine. Ils avaient d’ailleurs tendance à passer l’hiver dans la grange. Karim ne leur en tenait pas rigueur. Les chats restaient fidèles à eux-mêmes et il les aimait tous sans distinction.
Il distribua quelques caresses parmi la masse de poils affamée. La majorité des fauves s’y prêta de bonne grâce, mais il fallut que Diva émette un miaulement de princesse outragée. La petite siamoise aux grands yeux bleus était la seule pure race et entendait bien le manifester à la moindre occasion. Karim sourit. Il n’avait jamais réussi à prendre ses revendications au sérieux.
Il déposa sa tasse dans l’évier et s’étira un bon coup. Il était temps pour lui de s’en aller. Il enfila sa veste doublée peu dommage ainsi qu’une paire de chaussures au profil prononcé et sortit dans l’air vif du petit matin. L’automne était déjà bien établi dans le Montana et les premières gelées blanches qui recouvraient la prairie telle une voilure ne tarderaient plus. Les feuillus égayaient les vastes massifs forestiers de veines d’or flamboyantes. La neige coiffait déjà les sommets effilés, leur conférant davantage d’austérité.
La rosée mouillait les prés. Karim souffla devant lui; une buée fugace s’envola de sa bouche. Le froid s’apprêtait à s’installer pour de longs mois. Cela ne lui déplaisait pas. Il aimait le climat du nord, les étés secs et chauds et les rigueurs de l’hiver. La neige entravait un peu les déplacements, mais il ne craignait pas grand-chose avec son gros pick-up.
Il se dirigea vers l’imposant véhicule dans lequel il entassait tout son matériel et s’immobilisa à mi-parcours, surpris. Il entendait des voix derrière le ranch. Il tendit l’oreille et reconnut sans peine celle de Jason, son fils aîné. Le gamin était un lève-tôt et profitait souvent des premières heures du jour pour promener Compadre, son cheval, avant de prendre le chemin de l’école en maugréant. Or, là, il n’était pas seul. Une autre voix, plus basse et virile, se mêlait à la sienne. Il ne pouvait s’agir de son frère, dont le timbre était fluet. Karim fronça les sourcils, suspicieux. Un inconnu faisait donc un brin de causette avec son fils... Et les chiens n’avaient pas aboyé...?

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Dust - Tome II

- Prépare-toi à un choc, Dust. C’est par ces mots que Spike vient bouleverser l’équilibre que Dust pensait préserver jusqu’à la fin de ses jours. Les nouvelles que le sheriff lui apporte ravivent une blessure et, surtout, ouvrent la porte à une existence qu’il aurait voulu voir perdurer, mais qui s’est brutalement fracassée. Déjà ébranlé par plusieurs événements qui affectent son quotidien et la manière dont il envisageait l’avenir, Dust accueille l’éveil de sa part animale comme une délivrance.

Ce second roman conclut les aventures de Dust, un personnage épris de liberté et profondément attachant en dépit de ses travers.

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Extrait:

Wakan était le cheval idéal, se disait Dust en le regardant évoluer autour de lui dans le corral. Il avait hérité de la douceur de Tia et de la force et de l’endurance de Comanche. En plus, il était superbe. Sa robe était chabraque. Or, à la différence de son père qui arborait une croupe entièrement blanche, des taches brunes parsemaient la sienne. Ses jambes étaient bien équilibrées, sa tête droite. Il ne présentait aucun défaut. Dust aurait pu en retirer un très bon prix, mais il avait décidé que ce serait le cheval de Callan. Ils étaient arrivés au ranch presque en même temps et grandissaient ensemble, établissant une complicité qui l’avait définitivement convaincu.
Le caractère parfaitement équilibré de Wakan se remarquait lors du dressage. Aucune agressivité, aucune peur déplacée, une intelligence vive à comprendre les ordres. Travailler avec lui relevait du plaisir; Dust ne s’en lassait jamais.
Il aperçut tout à coup la silhouette massive du sheriff à hauteur de la barrière. Il le considéra avec surprise, vint vers lui d’une foulée souple. Les deux hommes se serrèrent la main entre les traverses de bois.
- Je ne t’ai pas entendu, dit Dust.
- Ça ne m’étonne pas. Tu étais complètement immergé dans la relation.
Le cowboy eut un mouvement du menton pour désigner le 4x4 équipé de gyrophares dans la cour en gravier.
- Ouais, mais au point de pas entendre le moteur de la Jeep...
- Il m’arrive d’être discret.
Spike retira ses lunettes aux verres à effet miroir et les tripota pensivement. A ses sourcils froncés et à son air grave, Dust comprit qu’il ne passait pas pour boire un café entre amis. Il fronça les sourcils à son tour.
- Je... Il faut que je te parle, Dust.
Son ton embarrassé remua désagréablement les entrailles de l’intéressé. Il regarda autour de lui. Liv n’était pas dans les parages; elle préparait une tarte aux pommes avec Callan. Sur ce plan, au moins, il était tranquille.
Il sortit du corral, fit face à Spike.
- Je t’écoute.
Le sheriff eut un mouvement de la tête.
- Allons par là.
Ils se déplacèrent jusqu’à la voiture de patrouille. Dust eut l’impression que ses jambes ramollissaient davantage à chacun de ses pas. Enfin, il s’adossa contre le véhicule et croisa les bras, dans une vaine tentative pour se protéger de la prochaine calamité qui allait lui tomber dessus.
Spike ôta son chapeau et se mit à le triturer entre ses doigts potelés. Une ride profonde barrait son front.
- Prépare-toi à un choc, Dust.
Il s’efforçait de fixer le cowboy, mais ce dernier sentait à quel point il était mal à l’aise et combien il aurait désiré disparaître sous terre. Cela ne fit qu’accroître son inconfort.
- Ça fait un bon moment que j’hésite à t’en parler. C’est un dilemme qui m’empêche de dormir.
Spike marqua une pause, plus pour organiser son propos que pour permettre à son ami de respirer.
- Quelles qu’en soient les conséquences, je me dois de t’informer.
Le froid envahit Dust, malgré la température agréable. Il serra les mâchoires. Spike afficha un air peiné.
- Je suis désolé de revenir sur un événement aussi douloureux, mais...
- Jason n’était pas mon fils.
Le sheriff secoua la tête avec lenteur.
- Non. Ce n’est pas de lui dont je viens m’entretenir, mais de... d’Enrique.
- Enrique?
Dust aurait reculé, s’il n’avait pas été adossé contre la voiture. Il pâlit brusquement, ses yeux s’écarquillèrent; un poids lesta ses entrailles. Spike se massa la nuque, toujours aussi emprunté.
- Tu veux savoir pourquoi ils se sont foutus sur la gueule, Jason et l’autre cowboy?

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Vers la Vie


Un vrai roman alpin comme j’en ai beaucoup écrit. Le retour vers la vie d’un homme forcé d’en abandonner un autre encore vivant sur un 8’000.

Extrait:

- C’est le fait d’avoir abandonné Nick là-haut, c’est ça?
Il tressaillit, faillit lâcher le ski qu’il tenait. Il tourna alors son visage vers Sven, les pupilles dilatées, les yeux remplis de colère, de souffrance et de détresse. Durant un instant suspendu dans le temps, ses lèvres entrouvertes furent sur le point de prononcer quelque chose. Puis, l’air dégoûté, il baissa les paupières et se leva. Bien décidé à clore cet entretien qui n’avait pas encore débuté, il s’éloigna d’un pas vif. Sven le rattrapa au moment où il contournait le chalet. Il l’empoigna par un bras avec autorité. Offusqué, Théo se retourna d’un bloc, la bouche réduite à une ligne infime. D’un geste sec, il essaya de se libérer. Mais son ami n’avait pas l’intention de le laisser s’échapper. Les larmes de Marie, deux jours auparavant, exigeaient un changement. Il était peut-être le seul à pouvoir agir. Le rôle était lourd, mais il l’acceptait. Théo comptait parmi ses meilleurs compagnons d’altitude; il ne pouvait pas le laisser s’enfoncer dans le marasme. En outre, et c’était une motivation probablement très égoïste, il ne voyait pas qui pourrait le remplacer pour les enchaînements hivernaux et les grandes expéditions himalayennes. Avec son enthousiasme, son professionnalisme et son énergie, Théo était l’élément indispensable. Si leur amitié devait s’éteindre, que ce soit au moins en altitude, dans une voie exposée, pas de manière aussi misérable.
- Crache, ordonna Sven sans le lâcher. C’est à cause de Nick, hein? Son fantôme ne te lâche pas.
Les joues de Théo s’empourprèrent. Une veine gonfla au niveau de son front, ses lèvres se rétrécirent davantage.
- De quoi te mêles-tu?! s’écria-t-il d’une voix chargée d’émotions violentes. Tu n’étais pas avec moi! Ça ne te regarde pas!
La colère le faisait trembler. A nouveau, il tira sur son bras captif. Sven raffermit son étreinte.
- Tu m’en veux? demanda-t-il en baissant le ton. Théo, ce n’est pas à cause de moi qu’il est mort. Et ce n’est pas moi qui l’ai laissé claquer tout seul.

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Le faux Pas


Peu de lumière autour de ce drame montagnard. Une immersion dans l’ambiguïté des sentiments et de la nature humaine.

Extrait:

“Espèce de salaud! Tu devais me la laisser, cette chance!”
Les mots résonnaient lugubrement dans le crâne brûlant d’Ismael. Il avait l’impression d’avoir manqué une étape fondamentale. On ne sortait pas une phrase pareille sans raison. Quelle chance pouvait donc avoir échappé à Quentin? Et, bon Dieu, que s’était-il passé là-haut?! Ismael était presque persuadé que son ami lui dissimulait une partie de la vérité. Se seraient-ils disputés? Mais, dans ce cas, pour quel motif et pourquoi l’auraient-ils fait au milieu d’une face aussi austère où l’action abolissait toute réflexion? Ismael avait franchement de la peine à y croire. Les querelles n’existaient pas entre ces deux frères siamois. Ils arrivaient toujours à trouver un compromis ou à tourner leurs différends en dérision.
Une probabilité atroce germa soudain dans l’esprit tourmenté d’Ismael.     Quentin aurait-il involontairement précipité Jeremias dans le vide? Mais comment une chose pareille aurait-elle pu être possible? Non, c’était impensable. Des amis pareils n’arrivaient jamais à de telles extrémités.
Pourtant, Ismael restait convaincu qu’il s’était déroulé davantage qu’une simple chute à la Dent d’Hérens. Il n’y avait cependant eu que la montagne pour témoin.

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Traces


Une histoire d’amour dans le Vieux Valais. Le poids de la religion et du conformisme contrebalancé par la passion.

Extraits:

- Avez-vous un costume décent pour vous rendre à l’église?
La question ne désarçonna pas Tristan. Il l’avait anticipée.
- Non, avoua-t-il.
Elle lui jeta un rapide coup d’oeil avant de nouer la coiffe brodée d’Angélique.
- Je vais vous en prêter un. Vous ne pouvez pas venir dans cet accoutrement.
Elle lui lança un second coup d’oeil. Tristan eut la nette impression qu’elle regardait plus bas que sa ceinture avec gourmandise. Il en fut décontenancé. Mais ce fut si fugitif.
- Ce n’est pas nécessaire, dit-il d’une voix moins posée. Je ne vais plus à l’église depuis longtemps.
A genoux sur le plancher, Marie le dévisagea avec stupéfaction. Ses doigts habiles demeurèrent suspendus dans le vide. Elle secoua la tête avec véhémence.
- Ici, vous y êtes obligé si vous ne voulez pas être désavoué, rétorqua-t-elle. Vous n’avez pas le choix.
- On a toujours le choix. J’assume très bien le mien.
Devant une telle obstination, Marie se redressa, abandonnant sa tâche.
- Descendez tous, ordonna-t-elle aux enfants. Joseph, tu finiras de préparer Guillaume en bas.
L’aîné prit le petit dernier dans les bras avant de sortir de la chambre. Marie attendit qu’ils aient tous descendu les escaliers pour s’approcher de Tristan. Elle saisit l’une de ses mains dans les siennes, douces et fraîches. Avec tendresse, elle caressa ses doigts. Subjugué, il se laissa envoûter par les sensations qu’elle suscitait en lui, dans une pénombre au mystère excitant. Jamais il n’aurait imaginé pareille audace de sa part.
- Ne faites pas ça, supplia Marie dans un souffle. Ils vont vous rejeter.
Et elle n’avait pas envie d’assister à la colère, au mépris, à l’abjuration. Elle ne voulait pas que cet homme qu’elle apprenait à peine à connaître soit chassé à coups de pierres.
Les prunelles de Tristan flamboyèrent. Son pouce caressa doucement l’intérieur du poignet de la jeune femme dans un délicieux contact.
- Est-ce cela, l’enseignement du Christ? Rejeter la différence? Juger avec arrogance?
Son ton était bas, inquiétant. Marie frissonna, sans cependant tenter de se soustraire à son contact. Sa fureur et sa sensualité l’ensorcelaient.

(...)

- Ton père te bat.
Joseph ne cilla pas. Il haussa juste les épaules.
- Le père, il est comme ça, bougonna-t-il. Je l’ai pas connu autrement.
Un muscle tressaillit sous l’oeil gauche de Tristan. Il s’efforça non pas de garder son calme mais le contrôle total de son être. Une fenêtre obscure venait de s’entrouvrir dans son esprit sur une image floue. Sa bouche devint sèche.
- De toute façon, ça ne vous regarde pas, dit Joseph, incisif. Vous ne pouvez pas intervenir dans notre vie.
- C’est ce que tu crois, s’entendit rétorquer Tristan.
Il ressentait une désagréable sensation d’absence, de dédoublement. Il ne parvenait plus à rester attentif. Le garçon le considéra avec une curiosité craintive et un air de défi.
- Un jour, vous partirez, dit-il. Et ça recommencera comme avant. Vous savez, nous sommes tous logés à la même enseigne. Ne croyez pas que j’ai droit à un traitement de faveur. Il cogne juste plus fort parce que je suis l’aîné.
Poussée par un souffle noir, la fenêtre s’ouvrit toute grande dans l’esprit de Tristan. Horrifié, il distingua un enfant, presque un bébé, assoupi dans un berceau, dans une chambre ténébreuse. Il aurait pu le dessiner tant ses traits encore pleins d’innocentes rondeurs s’imposaient à lui avec netteté. Un rai de lumière filtra, caressant les joues à la peau veloutée. Un bruit de pas discrets s’enfla, puis s’arrêta devant le petit lit. Tristan vit tout à coup des mains calleuses qui écrasaient un oreiller sur le visage délicat de l’enfant. Le petit corps s’agita un court instant dans un intolérable silence, puis les membres retombèrent, inertes.

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La Croisée


Un récit sur des pulsions, sur la violence, sur la tentation et le renoncement.

Extrait:

- Nous nous étions promis de ne pas nous venger.
Son ton était bas, saturé de colère. Les prunelles de Dorian brillèrent, inquiétantes. Ce serment solennel prêté alors qu’ils avaient à peine seize ans le laissait désormais indifférent. Oui, ils avaient juré d’enterrer cette histoire dont les stigmates les poursuivaient encore. Oui, ils avaient décidé de sortir cette créature obscène de leur vie, bien qu’elle ne les eût jamais vraiment quittés. Ils n’étaient alors que des gosses. Ils avaient cru qu’une promesse pouvait contrer le mal.
- Tu pourrais me remercier, dit soudain Dorian d’une voix séductrice. Grâce à moi, nous sommes enfin libres. C’est à cause de lui que la situation est telle qu’elle est. Nous sommes restés parce que nous seuls nous comprenions.
Gwilherm sentit sa bouche s’assécher. Il n’avait pas envie d’entendre certaines choses. L’allure féline, Dorian s’avança vers lui.
- Tu ne comprends pas? Je nous ai rendus à la vie! J’ai eu cette force! Toi, tu n’as jamais eu ce courage. Tu as toujours eu peur des répercussions. Moi pas.
Les yeux de Gwilherm flamboyèrent. Il se trouvait face à un animal sauvage, une énergie brute, un être gagné par la fièvre du sang. Et il se sentait attiré par cette tentation mauvaise.
- J’ai brisé mes chaînes, poursuivit Dorian, comme inspiré. Je suis enfin libre.
Dans un sursaut, Gwilherm lutta contre sa part d’ombre. Il secoua la tête.
- Non. Tu as succombé à tes pulsions. Tu es faible. La vraie force se trouve dans le renoncement et le pardon.
Dorian sourit avec ironie.
- Le pardon? répéta-t-il avec mépris. Certains actes ne peuvent être pardonnés. Non, la vraie force, c’est savoir rester debout et se battre pour ses convictions.
Gwilherm sentit la rage éclater dans sa poitrine dans un orage intérieur. Tout à coup, il ne réfléchit plus. Privé de raison, il empoigna son ami et le projeta avec violence contre la roche. La tête de Dorian heurta la pierre, avant qu’il ne s’affaisse sur le sol. Du sang s’écoula de sa bouche. Gwilherm se précipita auprès de lui et l’attrapa par le revers de sa veste.
- Ai-je eu tort de te pardonner?! s’écria-t-il d’une voix méconnaissable qui lui râpa la gorge. Ai-je été stupide de ne pas te jeter dehors?! Que sais-tu du pardon, toi qui n’as pas eu besoin de faire cette démarche?!
Les larmes roulaient sur ses joues. Accaparé par ce souvenir maudit, il était submergé par l’émotion. Il ne voyait plus, n’entendait plus. La violence humiliante dont son ami avait fait preuve à son égard le possédait tout entier. Dorian se laissait secouer en tous sens sans essayer de se défendre. Ses yeux fixaient son ami de manière absente. Il avait anticipé cette confrontation. Comme il avait prévu de se soumettre à la légitime colère de Gwilherm. N’avait-il pas une dette à rembourser?
- Mais quel genre de monstre es-tu devenu?!?
Hébété, haletant, Gwilherm le libéra et recula de quelques pas. Il essuya ses joues contre sa manche, sans cesser de regarder cet ami qu’il ne reconnaissait plus. Le sang avait réveillé l’Instinct en lui. Le sang avait donné vie à quelque chose qui ne serait jamais plus sous contrôle. Et rien ne changerait ce nouvel ordre. Il ne restait plus à Gwilherm qu’à s’incliner et renoncer à un ami.

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Le Temps du Choix


Petit récit sur un guide de haute montagne qui voit sa jeunesse et sa force s’en aller.

Extrait:

Il ne s’agissait pas d’orgueil. Il avait réduit son appétit égotique à néant depuis longtemps. Il avait su renoncer au désir. Ce désir qui pervertit l’âme, la remplit de souffrance et empêche l’éclosion de l’être. Il était guide mais plus conquérant. Autrefois, il avait été un grimpeur d’élite, capable d’accomplir les exploits les plus fous pour satisfaire son ego. Il avait réalisé de somptueuses ouvertures. Or, par amour, il s’était assagi. Il avait renoncé en conscience, sans contraintes. Jamais Moana, qui respectait l’âme libre, ne l’avait incité à abandonner sa passion. Il ne l’avait d’ailleurs pas fait; il avait simplement vécu autrement, peut-être de façon plus authentique. Sa femme lui avait fait découvrir d’autres horizons. Il s’était mis à considérer la vie sous un angle différent, à la savourer avec plus d’intensité. Vaincre, conquérir, gagner, aller plus haut, plus vite, plus loin... Toutes ces notions étaient devenues vides, stériles. Les vieux schémas de l’âme humaine n’avaient pas résisté au vent nouveau. Il s’était détaché du désir, de l’envie, de la jalousie, de la vanité. Il était devenu un homme libre.
Mais il voulait accomplir une grande œuvre avant de ne plus en être capable.
Il ne s’agissait même pas d’un défi qu’il s’était lancé. Cette démarche était très personnelle, intérieure. Il n’avait pas besoin de se prouver quoi que ce soit. Il avait dépassé ce stade voilà fort longtemps. Peut-être avait-il juste besoin de se sentir pleinement vivant après le décès de son épouse. Il avait l’impression que seules les cimes pouvaient désormais lui offrir une telle sensation. Et il avait rudement besoin de l’éprouver.

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Dans la Neige et le Sang


Oui, j’aime les personnages qui refusent les lois, qui n’obéissent qu’à eux-mêmes, qui ne se conforment qu’à leur propre système de valeurs. Voici celle d’un guide qui rejette le verdict des hommes à la suite d’une avalanche.

Extrait:

Les deux hommes ne furent pas mécontents d’accéder au col de Bertol, qui marquait la séparation avec le bassin du Mont Miné, et de rejoindre le rostre qui supportait la cabane.
Au travers de la brume, elle leur apparut tel un galion fantôme échoué sur un récif. Le fait qu’aucune lumière ne filtrait par ses fenêtres accroissait le côté lugubre du tableau. Elle se dressait sur son socle rocheux avec son étrave de métal, délaissée par les hommes, dominant un océan blanc au silence abyssal. Leland n’aima pas ce qu’il éprouva en la discernant entre les épaisses volutes de brouillard. Il avait l’impression d’un lieu hanté, banni par le temps lui-même. De surcroît, constater qu’elle était vide lui enlevait tout espoir de retrouver Cillian ce soir-là. Son ami - car il le considérait toujours ainsi - évitait les édifices bâtis par les hommes. Ce qui signifiait qu’il allait passer la nuit dehors.
Leland venait de poser le pied sur la première échelle métallique qui lui permettrait d’atteindre la cabane lorsque cela le frappa violemment. Ce fut comme si les ultimes résidus d’espoir s’évaporaient. Il en frémit. Les actions de Cillian étaient beaucoup moins anarchiques qu’elles ne le semblaient à priori. Dans sa tête, et ça Leland en était convaincu, il n’avait laissé aucune place au hasard.
Il reposa son pied dans la neige et se tourna vers Didier.
- Il doit être par là... quelque part... tout près, peut-être...
- Et que comptes-tu faire? rétorqua son ami. Quadriller le coin au risque de te perdre ou, pire, de faire une mauvaise chute? Tu viens de me dire que ça ne servait à rien, alors ne t’imagine pas que c’est la lueur de ta frontale qui va le faire rappliquer ventre à terre!

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Nos seules Lois


Un titre évocateur pour un thème qui me tient à cœur. J’aime les individus qui créent leur propre système de valeurs.

Extrait:

Comme presque tous les matins, Kjell se trouvait dans le corral, en tête-à-tête avec un bronco. Et comme presque tous les matins, Roan, accoudé à la barrière, le Stetson bas sur les yeux, le regardait. Le spectacle le fascinait. Non pas qu’il n’eût pas l’habitude de dresser des chevaux de cette façon, mais Kjell avait une manière bien à lui de s’y prendre. Doté d’une patience infinie, il pouvait passer des heures à apprivoiser un cheval rétif sans émettre un seul son. Parfois immobile, parfois en mouvement, il ne quittait toutefois jamais l’animal du regard. Roan avait remarqué qu’il fixait la plupart du temps l’encolure ou l’épaule. Plus que le calme, c’était la paix qui nimbait ses gestes. Quand il s’occupait d’une bête, sa tâche l’absorbait tant qu’il ne se rendait plus compte de ce qui se déroulait autour de lui. Un vaisseau extra-terrestre aurait pu survoler le ranch qu’il n’aurait rien remarqué. Roan était subjugué autant par sa maîtrise que par le mystère et la force qui l’auréolaient. Cet homme se démarquait clairement du commun des mortels. Sa manière de communiquer avec les chevaux en attestait. Il était à l’aise avec eux, bien plus qu’avec les membres de son espèce. Il leur parlait sans paroles et, surtout, une fois la confiance établie, il jouait avec eux. Un geste de sa part et ils partaient au galop. Un autre et ils faisaient demi-tour. Un autre encore et ils s’immobilisaient. Roan était persuadé qu’une bonne partie de son travail s’effectuait sur un plan autre que celui du visible. Il dégageait une telle énergie, une telle intensité. C’était comme si un halo de lumière blanche l’enveloppait. Il avait le don, voilà tout. Et le don, ça ne s’expliquait pas. Ça se vivait, simplement.

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Réminiscences


Une nouvelle personnelle, un exutoire peut-être, une façon de réécrire l’histoire familiale dans toute sa violence et son réalisme.

Extrait:

Cette laideur était si proche de lui. Il lui suffisait de tendre le bras pour la toucher. Il lui suffisait... de la laisser se réveiller dans les profondeurs mystérieuses de son âme.
Il contempla Matilin. Il n’y avait plus de colère, plus de haine, plus de détresse dans ses prunelles. Il n’y avait plus que le vide.
- Dénonce-toi, dit-il d’une voix sans timbre.
- Ce sont les lois des hommes, ça. Qu’est-ce que ça changera?
- Assume tes actes. Jusqu’au bout. Ça s’appelle être adulte.
Matilin eut un sourire bizarre, dément, comme victorieux. Ses prunelles s’allumèrent, irriguées par un feu inquiétant.
- Et c’est toi qui me dis ça?
Ljuan sentit un affreux frisson l’ébranler. Il ne voulait pas revenir dans le passé. Il ne voulait pas, mais Matilin le regardait d’un air presque triomphant.
- On n’est pas loin d’être ex-aequo, toi et moi...
Ljuan secoua la tête.
- C’était un accident.
- Bien sûr.

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Guérison


Un récit sympa sur un cowboy qui a tout perdu et qui va se reconstruire au fil de certaines rencontres.

Extrait:

Accoudé au comptoir, cloîtré en lui-même, il était totalement étranger à ce qui se passait autour de lui, dans les recoins sombres de la salle. Il n’entendait pas le claquement sec des queues de billard frapper les boules, les voix d’hommes et de femmes qui se mêlaient dans un bourdonnement confus. Il ne sentait plus les odeurs de tabac et de friture rance qui l’avaient assailli lorsqu’il avait poussé la porte. Il était seul avec son verre et cela lui convenait parfaitement. De toute façon, ce qui se passait dans son dos, il le connaissait bien. C’était l’Amérique des paumés, des marginaux, des gens dont on ne parlait jamais et qui ne votaient jamais. C’était l’autre Amérique, celle qu’on préférait ignorer mais qui existait bel et bien. Celle qui n’avait pas droit au chapitre, qui survivait tant bien que mal, dans l’ombre d’un capitalisme effréné que nul ne contrôlait. Eli n’en avait jamais vraiment fait partie, comme il n’avait jamais vraiment fait partie de la société. Il était aussi en marge du système, mais pas pour autant dans les fosses communes d’un monde dénaturé. Du moins pas encore.

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L’Embrasement


Une sorte de retour aux sources pour cette histoire d’amour ancrée dans les profondeurs du Valais. Mais il fallait que j’y mette ma griffe personnelle. J’ai donc imaginé une relation très charnelle entre un homme de quarante-cinq ans et une jeune fille de quinze. Ce fut un véritable régal.

Extrait:

Elle le regarda. Elle respirait vite, profondément, et claquait des dents. Ses yeux exprimaient un désespoir insondable, une émotion si poignante que la colère qu’Elie avait pu éprouver à son égard s’évapora. Il avait l’impression d’être face à un être résigné qui attendait la fin. Cette expression vide et triste correspondait si peu à Aziliz que son angoisse, qui avait connu un répit, s’accrût. Des mèches noires désormais blanches de givre s’échappaient du capuchon de la jeune fille. Elle esquissa un pauvre sourire qui gerça ses lèvres sèches.
- Je grimpe bien, hein?
Des sanglots faisaient vaciller sa voix. Elie l’attira contre lui et la serra avec force.
- Tu es folle.
Il ne se perdit toutefois pas en effusions. L’après-midi était bien entamé et il avait la nette impression que le vent s’était renforcé. Ce n’était pas un bon signe. Il tendit la gourde isotherme à Aziliz, puis prépara la corde pour un rappel. Ils devaient quitter la paroi au plus vite. Après, ce serait plus facile.
- Je ne veux pas redescendre, dit Aziliz. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour ça.
Il faillit s’emporter.
- Moi non plus, je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien, figure-toi! Alors, tu vas me faire le plaisir d’accrocher ce bout de corde à ton harnais!
Il lui tendait l’extrémité de la corde. Elle ne fit pas mine de la prendre.
- Je ne veux pas vivre sans toi. Je préfère mourir.
- J’ai bien dû apprendre à vivre sans Lucie.
Il la prit aux épaules et la secoua doucement.
- Tu dois obéir à ta vie, Aziliz. C’est même toi qui l’as dit. Ne gâche pas ce cadeau. Et ne raisonne pas comme une gamine capricieuse. Tu dois grandir. Les renoncements, ça fait partie du jeu.
Il distingua des larmes dans ses yeux.
- C’est pas juste.
- Je n’ai jamais prétendu que la vie était juste. Allez, lève-toi.

(...)

- Tu sais... je crois que ton père a raison, quelque part. Il n’y a aucun avenir pour nous.
Elle se figea. Ses traits s’affaissèrent.
- Pourquoi dis-tu ça? Parce que les histoires d’amour finissent toujours mal, c’est ça?
Il caressa ses hanches.
- Un jour ou l’autre, elles s’achèvent. Notre statut de mortels nous condamne à cette finalité.
La température parut baisser de quelques degrés. Impétueuse, Aziliz ne tarda toutefois pas à rebondir. Sa main empoigna son pénis au travers du tissu léger du pantalon. Elle le serra tout en exerçant un lent mouvement de va-et-vient.
- Mais tant que la vie bat, nous devons l’honorer. Nous recroqueviller avant l’heure, c’est mourir prématurément.
Elle afficha un air triomphant. Le matériel qu’elle tenait entre ses doigts espiègles était en train de prendre de l’ampleur.
- Tu en penses quoi?
Elie baissa sa garde. Passer aux aveux lui coûterait moins d’énergie. Il acquiesça.
- D’accord, je serai honnête.
Il prit une profonde inspiration.
- Nous sommes tellement accrochés... Je... je t’aime tellement... J’ai eu peur. J’ai toujours peur.
Il avala sa salive. Sa gorge contractée lui fit mal.
- Je ne veux pas revivre ce que j’ai vécu à la mort de Lucie. Je ne veux pas non plus que tu passes par où je suis passé.
Aziliz le regardait, étrangement solennelle. Cette confession ne semblait pas la surprendre. Elle paraissait même l’avoir anticipée. Avec douceur, elle posa ses mains sur les joues d’Elie.
- La peur, c’est la non-vie. Ça pourrit tout. C’est à cause de ça que notre monde est malade. Nous avons tous peur de nous-mêmes. Moi, je veux aller au bout de mes passions. Qu’importe les conséquences. Au moins, j’aurai vécu.
Le dernier mot vibra, remplit la pièce de son énergie. Il y eut un éclat sauvage dans les prunelles d’Aziliz, une force brute qui jamais ne se soumettrait au destin. Ses lèvres effleurèrent celles d’Elie dans un contact très tendre avant qu’elle n’ancre ses yeux aux siens.
- Tu sais, Elie, c’était pas de la chance ce que j’ai eu à la Pointe de Tsalion. C’était mieux que de la chance.
Elle l’embrassa furtivement sur le coin de la bouche.
- Je t’ai eu toi.

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Sacrifices


Un récit à la fois personnel et très fictionnel. Et une question: jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour subvenir aux besoins de ceux que nous chérissons le plus au monde?

Extrait:

Il tressaillit en sentant quelqu’un le secouer sans brusquerie et ouvrit les yeux, confus. Garance était penchée au-dessus de lui. Elle avait l’air soucieux.
- Papa? Ça va...?
Il la fixa pendant quelques secondes comme s’il peinait à comprendre le sens de ses paroles. Ce fut très court, mais, durant un instant, il ne sut plus où il se trouvait ni quelle heure il était. Puis il reprit ses esprits. Plus ou moins.
- Mais... Tu... L’école est déjà finie?
- Il est quatre heures.
- Oh...
L’inquiétude crispait les traits de l’enfant. Il s’efforça de lutter contre l’attraction qui le maintenait contre le matelas et s’assit. Vaseux. Exténué. Faible. Il enfouit son visage dans ses mains. Il n’avait rien mangé depuis la veille au soir. Il pouvait se sentir à côté de ses pompes.
Garance s’assit à côté de lui. Sa petite main se posa sur son dos nu.
- Tu es fatigué.
- Non. Je...
Il s’interrompit. Bien sûr qu’il était fatigué pour avoir dormi trois heures de plus que l’horaire habituel. Pour être tout à fait honnête, il était totalement épuisé. Mais il ne l’admettrait jamais devant sa fille. Il ne voulait pas qu’elle s’angoissât pour lui. Elle devait penser à elle avant tout. Les enfants n’avaient pas à être les parents de leurs parents.
- Si. Tu es fatigué. Et puis, tu manges pas beaucoup non plus.
Il ne réagit pas. Elle n’était pas stupide.
- Ne t’en fais pas, dit-il d’une voix éraillée. C’est juste un passage.
Il se demanda s’il parvenait à croire à ses propres mensonges. Car ce passage-là durait et n’avait pas fini de durer.
- Papa, tu vas pas mourir?
Cette question acheva de l’éveiller. Il considéra Garance avec une stupéfaction horrifiée. Il y avait des larmes dans les yeux de sa fille. Son coeur se fendit. Elle le fixait avec désespoir et imploration. Il l’attira contre lui, embrassa ses cheveux.
- Tu dois t’occuper de toi, ma poupée.
Elle enfonça ses ongles dans la peau de son dos.
- Mais si tu meurs...
Les larmes dégringolèrent sur ses joues.
- Je t’aime, papa. Je veux que tu restes avec moi.
Eran sentit sa propre émotion lui obstruer la gorge. Que pouvait-il dire, que pouvait-il faire pour la rassurer? Elle avait perdu sa mère. Elle savait que ça pouvait arriver. Et elle se rendait bien compte qu’il menait une existence qui le délabrait chaque jour davantage. Il l’étreignit.
- Ça va s’arranger, ma poupée. Ça va s’arranger. Je traverse une période un peu difficile, ces temps-ci, c’est tout.

(...)

Pâle et brouillé, il alla s’asseoir au bord du lit. Ses jambes flageolaient et il ne voulait pas qu’Andreï s’en aperçût. Celui-ci le contempla avec mansuétude. La porte était en train de se refermer.
- Tu bosses, ce soir?
Eran eut une moue désenchantée. Il hocha la tête tout en fixant la moquette entre ses pieds nus.
- Ouais... je bosse...
Tant de cynisme et d’acrimonie dans la voix. Andreï fronça les sourcils, dérouté. Il savait qu’Eran lui dissimulait la vérité depuis le début de son existence de noctambule. Et il commençait sérieusement à la redouter.
- Tu devrais t’accorder une pause.
- Ouais... je devrais...
Machinalement, il jeta un coup d’oeil vers son téléphone portable qui gisait sur le sol. Andreï jura qu’il y avait de l’appréhension dans ses yeux, voire une terreur sous-jacente.
- C’est pas très réglo, ton activité, hein...
- Va te faire foutre.
Eran ne l’avait même pas regardé. Ce qui n’empêchait pas son timbre d’être cassant comme du verre. L’agressivité n’étant pas dans son tempérament, Andreï demeura pantois comme s’il lui avait claqué la porte sur le nez. Il écarta les bras.
- Je veux juste t’aider...
- Il n’y a que moi qui peux m’aider et si je suis pas fichu de le faire, personne ne peut rien pour moi.

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